A L'HEURE où les talibans effacent toute trace du passé
préislamique de l'Afghanistan, l'Algérie entend renouer avec
ses racines... chrétiennes. A l'initiative du président Abdelaziz
Bouteflika, se tiendra, du samedi 31 mars au samedi 7 avril, un colloque
international sur l'un des plus célèbres enfants du pays,
saint Augustin, le père des Confessions et de La Cité
de Dieu, monuments de la pensée chrétienne et occidentale.
Aurelius Augustinus est né en 354 à Souk Ahras (ex-Tagaste),
à 650 kilomètres à l'est d'Alger - dans l'ancienne
Numidie, qu'il appelait sa "mère patrie" -, et il est devenu
évêque d'Hippone, devenu Bône, puis Annaba, où
il est mort en 430.
Fils d'un citoyen romain et païen, Patricius, et d'une mère
chrétienne, Monique, Augustin - converti au christianisme en 386
- a longtemps été perçu par l'Algérie musulmane
et socialiste comme un collaborateur de l'impérialisme romain, comme
un Berbère traître à la patrie, un faux Algérien,
suppôt de la bourgeoisie chrétienne et du colonisateur français.
L'écrivain Kateb Yacine, de méchante humeur, l'identifiera
un jour au général Massu.
A l'inverse, pendant la guerre d'Algérie, François Mauriac,
visant les "durs" de l'Algérie française et les croisés
de l'Occident chrétien, louera "saint Augustin, ce bougnoule".
Aujourd'hui, le génial auteur des Confessionsredevient,
dans les discours officiels, "l'Algérien" ou même "le
grand marabout (un saint) d'Hippone". S'agit-il d'un geste destiné
à la minuscule communauté chrétienne du pays, encore
sous le choc de l'assassinat, entre 1994 et 1996, de vingt prêtres
et religieux, dont les sept moines de Tibéhirine et Mgr Claverie,
évêque d'Oran ? L'Eglise d'Algérie et l'université
augustinienne de Rome ont été associées à ce
colloque sans précédent dans le pays natal d'Augustin. Au
risque d'exaspérer un peu plus les milieux islamistes, l'Algérie
d'aujourd'hui veut se réapproprier son héritage. Après
avoir fait table rase, dans son enseignement, de l'histoire préislamique
du Maghreb, elle entend réhabiliter, un millénaire et demi
après sa mort, le grand philosophe chrétien. En août
1999, lors du meeting annuel à Rimini de l'association catholique
italienne Communione e Liberazione, le président Bouteflika avait
stupéfié la presse et les intellectuels algériens
par un discours dithyrambique : "Augustin traitait une question de droit
comme un avocat de Rome, une question d'exégèse comme un
docteur d'Alexandrie. Il argumentait comme un philosophe d'Athènes.
Il racontait une anecdote comme un bourgeois de Carthage..."
Africanité et universalité d'Augustin : tel est précisément
le thème du colloque qu'ouvrira le chef de l'Etat à Alger
et qui se poursuivra dans le village de naissance du philosophe, puis dans
la basilique et les ruines d'Hippone, que plus personne n'allait visiter.
Une exposition itinérante sera consacrée au philosophe chrétien
dans la capitale et dans neuf villes du pays. Deux timbres vont être
émis par la poste algérienne. Un lieu symbolique, qui reste
à déterminer, portera son nom. Et le Père Lucien Borg,
recteur du sanctuaire d'Hippone, de rêver à une traduction
en arabe de l'œuvre complète de saint Augustin et d'en faire "un
pont entre les Algériens et les Arabes chrétiens du Proche-Orient".
Un pont "entre nous, chrétiens, et ce grand peuple qui n'a plus
peur de l'enfant de Tagaste".
Henri Tincq